Le lin, matière première naturelle utilisée dans le textile et la décoration semble séduire de plus en plus de consommateurs. Nous vous proposons d’explorer ses qualités et ses usages au Québec et dans le monde.
Des statistiques contrastées
À la lecture du rapport de la Confédération Européenne du Lin et du Chanvre (CELC) paru en juin 2021 on trouve matière à s’enthousiasmer.
Dans le domaine de la mode on constate une augmentation de 102% des looks en lin dans les collections féminines sur les podiums Printemps-Été 2021 comparativement à 2020 et une augmentation de 49% des designers qui ont présenté au moins une silhouette en lin.
Doté de qualités environnementales certaines, le lin devient la matière phare des marques écoresponsables. Se prêtant bien aux looks naturels et aux couleurs sobres, c’est aussi une matière facilement non genrée ce qui la rend aussi très attrayante.
Toutefois, sa complexité de production engendrant des coûts directs supérieurs aux coûts du coton et des fibres synthétiques le cantonne dans l’univers du luxe au point qu’il ne représente que 0,4% des fibres textiles dans le monde, loin derrière le polyester (54,4%) et le coton (23,2%)
80% de la production du lin textile mondiale a lieu en Europe de l’Ouest mais l’histoire nous montre que le lin pousse très bien aussi au Québec par sa facilité d’adaptation.
L’histoire de sa production
On a retrouvé des traces de fibres de lin torsadées en Géorgie datant de 36 000 ans avant J.C. mais surtout on a de multiples traces attestées de culture du lin et de son utilisation textile dans l’Égypte ancienne (3 000 ans avant J.C.)
En 1810, Napoléon 1er offre une prime à celui qui pourra inventer la première machine à filer le lin et c’est Philippe de Girard qui brevète son invention en seulement deux mois et remporte le prix. À partir de ce moment l’utilisation du lin comme fibre peut passer d’artisanale à industrielle.
En Nouvelle-France, dès le milieu du XVIIème siècle c’est l’intendant Jean Talon qui souhaite inciter les familles à cultiver le chanvre pour leurs propres besoins textiles et avec l’objectif par la suite de créer des manufactures afin d’en exporter les produits. Pour ce faire, en 1666, il fait confisquer tout le fil se trouvant dans les boutiques pour inciter les habitants à cultiver les fibres. Radical !
Au XVIIIème siècle, on en produit localement pour assurer la production de vêtements et de linge de maison. Les familles savent le cultiver et en extraire la fibre et connaissent encore toutes les étapes menant de la plante aux draps.
Plusieurs intendants par la suite tenteront de lancer une industrie de culture et de transformation du lin et du chanvre sur la base de ces savoir-faire domestiques. Parfois ils réclamaient qu’on leur livre des semences qu’ils ne recevaient jamais ou trop tard dans la saison. Parfois on manquait de tisserands et l’intendant demandait alors au roi d’en faire venir, avec plus ou moins de succès. D’autres fois encore où l’on parvenait à produire, le roi décidait subitement de baisser le prix auquel la France achetait la production ce qui avait comme effet de décourager les paysans. « À la fin du régime français, les manufactures de toiles n’étaient pas encore instituées » nous confirme Hélène de Carufel dans son mémoire « La culture traditionnelle du lin » (1979). Les bonnes conditions n’étaient jamais réunies.
Sous le régime anglais on continua de penser que les sols se prêtaient à la culture du lin et du chanvre mais seules les graines de lin trouvèrent un débouché d’exportation, la fabrication textile restant destinée à un usage local. Pourtant on voit sur cette carte que l’on produisait du lin au XIXème siècle tout le long de l’axe laurentien.
Lors de la première moitié du XXème siècle on voit émerger des coopératives linières et des besoins croissants en Europe pour des toiles mais la qualité de production ne suffit pas aux Européens et la demande retombe vite. Les linières disparaissent déjà.
Le coton est là, puis les fibres synthétiques. On abandonne très vite les fibres naturelles qui nécessitent le plus de manipulations après la récolte.
Historiquement on semble aussi déplorer de tout temps une mauvaise rotation des cultures qui épuisent les sols, un manque de formation des agriculteurs et des tisserands, une moindre qualité de la fibre. Décidément…
La culture du lin
La plante qui nous intéresse et qui produit les graines de lin et les fibres pour le textile s’appelle en latin Linum usitatissimum. Il s’agirait d’une des premières espèces végétales ayant fait l’objet de culture et on en recense plus de 200 variétés cultivées. Les espèces de lin destinées à la production d’huile ont des fleurs plus abondantes (et donc plus de graines) et blanches tandis que le lin textile est moins florifère et porte des fleurs bleues.
« Je te donne les champs couleur de lin, les ateliers de tissage qui n’ont pas de limite dans leurs étoffes, tous les tisserands du pays en entier… »
Inscription du Temple d’Hathor à Dendara en Égypte – Dendara 4 – Sylvie Dauville, 2001
Au moment de la culture, le lin ne demande pas d’irrigation, ne contient pas d’OGM, ne requiert pas de pesticides et ne produit pas de déchets. Semé au printemps, il met 100 jours à atteindre sa maturité. Pour le récolter on arrache le plan entier et on laisse les gerbes sécher sur champ.
Outre ses qualités environnementales au moment de sa culture, le lin est la fibre naturelle la plus résistante et dont les qualités textiles s’améliorent avec le temps et l’usage du tissu. Elle peut être filée et teinte. Avec ses graines on fait de l’huile et avec l’étoupe on peut faire de la corde ou des matériaux isolants.
Jusque là, l’affaire est séduisante.
C’est au moment de l’extraction de la fibre que l’affaire se complique : les étapes de rouissage (macération des tiges dans de l’eau pour faciliter l’accès aux fibres), de teillage (écrasement des tiges pour en libérer l’intérieur) et de peignage sont plus demandeuses en main d’œuvre ou en machinerie que le traitement du coton par exemple. On sépare ensuite les fibres courtes (étoupe) des fibres longues (longs brins) destinées à être filées. Les longs brins sont filés à l’eau pour obtenir un fil fin et soyeux et l’étoupe est filée au sec pour obtenir un fil plus épais et rustique. Par la suite les bobines de fil servent au tissage.
Cette matière a donc tout pour plaire au moment du développement de la conscience environnementale et de l’engouement pour les fibres naturelles. Un point noir subsiste pourtant : faute d’industries de transformation suffisamment économiques, 85% de la production européenne de matière brute est expédiée en Asie pour y être transformée et nous revenir sous forme de fil, de tissu ou de vêtements prêt-à-porter.
Si la tendance du XVIIIème siècle s’était maintenue au Québec de produire jusqu’à 10 fois plus de lin que de chanvre1, vous auriez immédiatement visualisé de grandes étendues de fleurs légères et éphémères aux nuances bleues qui ondulent sous l’effet du vent.
Pour quoi faire ?
Du tissu bien sûr mais aussi de la corde ou du papier. Ses usages en tant que fibre ne sont limités que par votre créativité c’est-à-dire pas du tout !
Du côté du tissu, malgré ses grandes qualités, le lin ne représentait en 2014 que moins de 1% de la demande en fibres textiles. Sur cette petite quantité 85% partait chez les filateurs chinois et le reste était transformé en Europe. Les filateurs européens montrent néanmoins plus de capacité d’innovation avec en particulier de la maille de lin.
On peut filer la fibre « au sec » ce qui lui donne un aspect plus duveteux, plus texturé et plus chaud ou « au mouillé » en plongeant la fibre dans de l’eau chaude ce qui facilite l’étirement de la fibre pour un rendu plus lisse.
Son huile, mélangée à une résine de conifère, était utilisée pour fabriquer le vernis des fameux violons Stradivarius.
Les artistes mentionnent que c’est une fibre difficile à travailler, plus rigide et par conséquent plus intéressante. Et ceux qui l’utilisent en textile la désignent comme une matière vivante, qui évolue dans le temps, qui se transforme, s’assouplit et se bonifie au fur et à mesure des lavages et de son utilisation. Le papier de lin quant à lui est très différent avec un toucher très net, très sec qui en fait une matière plus exigeante à travailler.
Ce portrait vous a-t-il séduit ?
Voyons combien nous en produisons au Québec.
Rien. Ou presque…
Des essais sur champ et des tests d’extraction de la fibre ont été réalisé dans la MRC de Mitis depuis une dizaine d’années dans le but de réintroduire sa culture. Il a même été mis sur pied un laboratoire permettant d’extraire les fibres qui a donné de bons résultats.
Malheureusement il ne s’agit pas de lin textile mais de lin oléagineux. Cultiver le lin pour sa graine est à ce jour la seule activité rentable à partir de cette plante nous explique Mélanie Raymond, chargée de projet sénior chez Écosphère, la firme-conseil qui accompagne la MRC de Mitis dans cette initiative. Suite aux essais il a été constaté que cultiver la graine de lin est tout aussi rentable pour les producteurs voire plus que cultiver du canola et que, après avoir récolté les graines de lin, on pouvait encore extraire les fibres courtes des tiges pour alimenter les innovations de matériaux composites ou de matières isolantes pour la construction.
Toutefois, nous ne sommes pas près d’avoir du lin textile. Pour obtenir de belles fibres longues nécessaires au filage, on n’utilise pas les mêmes variétés de plants ni la même densité de semis, la même technique de récolte est différente et les machines nécessaires à l’extraction de la fibre également.
Nous pouvons néanmoins espérer que les essais de réintroduction de la culture du lin dans le couloir laurentien soient de telles réussites que cela nous donne envie collectivement d’y ajouter quelques arpents de variétés à fibre longue que des aventuriers du renouveau textile local et écolo seront assez fous pour exploiter.
Nous avons l’impression de plaider pour la réhabilitation d’un condamné victime d’une grossière erreur judiciaire. Pourquoi donc cette plante a-t-elle été si délaissée ?
Selon Adrien Landry, maître tisserand et co-fondateur de la Biennale du lin de Portneuf, l’exploitation du lin textile ne reprendra pas. « Pas de volonté politique ». Il est certain que l’investissement nécessaire pour relancer une production est trop conséquent pour un seul acteur privé et qu’il faudrait associer subventions gouvernementales et coopératives de producteurs pour atteindre un prix acceptable pour les fabricants de textiles ou les artistes. Si le prix est trop élevé, la demande s’effondre et se tourne vers d’autres fibres plus abordables. Mais voilà quelques décennies que l’on annonce la renaissance de cette culture ou d’autres comme le chanvre et que cela ne décolle pas. Devons-nous pourtant nous résigner ? Tant qu’il y a des initiatives, il est possible d’espérer…
Et Monsieur Landry nous précise aussi, en tant que chef d’atelier du Centre des Textiles Contemporains de Montréal, que la plus grande part des commandes de tissages jacquards qui lui sont passées par des artistes sont à base de lin.
Nous avons donc une fibre écologique, résistante, respirante et en demande. Croisons les doigts pour que l’on s’enligne sur le lin…
Pour vous inspirer, nous vous proposons une revue non exhaustive d’utilisations de la fibre de lin chez nous comme dans le reste du monde :
Au Québec
Mylène Boisvert
Cette artiste travaille la fibre de lin sous forme de papier et fait ainsi le lien entre le papier et le tissu par le même matériau.
Par exemple, Les saisons du lin est une collection d’œuvres de papiers textiles, principalement de lin, librement inspirée d’objets textiles anciens
Michèle Bédard
En 2021, Michèle Bédard a interprété la valse des graines de lin qui partent au vent et se dispersent pour la Biennale de Portneuf.
Dans le sac
Des sacs, petits, grands, rayés, à glisser dans la poche ou à porter sur l’épaule. Il y en a pour tous les goûts.
Linum
Des casquettes uniques en coton et lin comme vous n’en avez jamais vu. Accessoires de mode et objets d’art; à découvrir pour offrir ou s’offrir.
Mimz
La marque propose une collection de vêtements Lin et viscose pour retrouver la fluidité de la matière et le naturel des couleurs.
Dahlia Milon
Avec des plantes essentiellement issues de la région de Kamouraska, Dahlia teint des matières textiles naturelles.
Pour le plaisir de yeux…
En Nouvelle-Écosse
Heidi Friesen (http://madebyheidi.ca/)
« Le lin est une matière difficile à travailler » nous dit Heidi quand nous l’interrogeons. « Elle ne s’étire pas et est très sensible à l’humidité. C’est plus facile ici, à Halifax, qu’en Alberta ».
Finaliste du LOEWE FOUNDATION Craft Prize 2022 en 2017 avec son œuvre NeoFolk, elle continue d’explorer les fibres dans le cadre d’une Maîtrise en Beaux-Arts de l’université de Nova Scotia College of Art and Design.
Pour le lin elle s’approvisionne en Europe, « parce que les textiles sont de très bonne qualité » dit-elle mais suggère que si l’on veut recréer une production locale, il faut montrer aux producteurs qu’il y a des besoins et des débouchés.
Dans le reste du monde
Louise Bourgeois (États-Unis)
L’Ode à l’oubli de Louise Bourgeois (oui oui, celle des araignées !) fait un appel kinesthésique à la mémoire en compilant les tissus de sa vie. Un exemplaire de son œuvre s’est vendu près de 480 000 dollars US en 2021.
Sergio Roger (Espagne) https://www.sergioroger.com/works
En 2021, l’artiste catalan a présenté à Milan une collection de bustes inspirés de la culture gréco-romaine où la pierre ou le marbre ont été remplacés par des tissus de lin anciens qu’il collectionne. « Chaque tissu a généralement plus de 100 ans et je les trouve habituellement chez des antiquaires du textile ou sur des marchés du sud de la France. Il est important pour moi de travailler avec ce matériau car, d’une part, il reproduit l’effet de pierre que je recherche et, d’autre part, je m’intéresse à son aspect historique : le lin est tissé depuis plus de cinq mille ans et est étroitement lié aux anciennes civilisations de la Méditerranée », explique-t-il.
Ferne Jacobs (États-Unis)
https://www.nancymargolisgallery.com/ferne-jacobs
Ferne Jacobs crée d’étranges sculptures colorées aux formes organiques à base de fil de lin ciré enroulé sur du fil de fer.
Christien Meindertsma (Pays-Bas)
https://christienmeindertsma.com/Flax-Chair
La chaise en lin
Un nouveau matériau composite a été créé en utilisant quatre couches d’un textile de lin tissé existant et cinq couches d’un lin feutré nouvellement développé.
Des lectures pour en savoir plus Images du lin textile par Jean-Marc Montaigne aux Éditions ASI Communication. Un ouvrage très riche en iconographie et en données historiques et techniques. Un régal ! Le lin par Hélène de Carufel aux Éditions Léméac, collection Traditions du geste et de la parole. Le récit du lin, de l’histoire à son utilisation en passant par les étapes détaillées de sa culture. Formidable ! |
Des lectures pour créer – Le lin : accessoires, déco, vêtements par Florence Le Maux aux éditions Minerva – Peindre sur le lin de Florence Melocco (éditions Didier Carpentier) – Accessoires en lin et Liberty de Catherine Rouchier (éditions Temps apprivoisé) |
Les salons autour du lin https://biennaledulin.com/category/nouvelles/ (Portneuf, Québec) Tous les deux ans depuis 2005 a lieu la biennale du lin à Portneuf. L’occasion d’y découvrir des créateurs du monde entier qui travaillent le textile avec la plus grande créativité. Prochaine édition en 2023. À vos agendas ! https://www.festivaldulin.org/ (France) En Normandie (France), le Festival du lin et de la fibre artistique fête son 30ème anniversaire en 2022. À découvrir si vous passez par là… Et à surveiller, l’initiative Flaxmobile propulsée par Jennifer Green en Nouvelle-Écosse Une tournée pédagogique en camion pour faire la promotion de cette plante et de ses usages auprès des agriculteurs et susciter ainsi des vocations de culture. On aime ! https://www.jennifergreentextiles.com/The-Flaxmobile-Project |
- Source : Girard, J. (1959). Les industries de transformation de la Nouvelle-France. Cahiers de géographie du Québec, 3(6), 305–320. https://doi.org/10.7202/020187ar ↩︎